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Capitalisme "vert" : des marchés du carbone à ceux de la biodiversité.

Par Cécile Mazellier 

Introduction
 

Les mécanismes de marché se sont largement imposés dans le domaine de la protection de l'environnement. Le théorème de Coase énonce l'idée qu'en l'absence de coûts de transaction, les problèmes d'allocation des ressources peuvent être gérés de façon optimale à travers une négociation directe entre les parties (Todrjman H. et  Boisvert V. 2012).  En théorie, ces transactions devraient, sans autres régulations et encadrements,  être efficaces car l'intérêt de chaque partie devrait produire une gestion efficace. Comment sont appliqués ces mécanismes de marché en ce qui concerne la préservation du climat et celle de la biodiversité? La mise en place d'un marché mondial du carbone a été un élément dominant les négociations climatiques ces dernières années. Parallèlement, le concept de marché de la biodiversité a émergé  dès la conférence de  Rio en 1992.

 

Les limites de l'approche libérale des marchés du carbone

 

L'idée  de donner un prix au carbone est apparue totalement  consensuelle pour la plupart des économistes du climat (De Perthuis C. 2009, Nordhaus WD. 2009 , De Perthuis C. et Jouvet P.A. 2015). Dans cette représentation libérale, si les hommes détruisent la nature, c'est qu'elle n'a pas de prix (Tordjman H.  et Boisvert V. 2012). Deux outils principaux ont alors été proposés : la taxe carbone et  le marché du carbone. Avec Kyoto, le choix s'est porté sur un marché mondial avec échange de permis négociables  mais reste ce jour paralysé pour des raisons de politique internationale. Les limites  pratiques de ces systèmes de marché ont cependant  pu être constatées sur le marché du carbone opérationnel en Europe avec une l'imprévisibilité du prix du carbone et par conséquent un manque de visibilité pour les industriels rendant  une stratégie à long terme difficile à stabiliser notamment dans le choix d'investissements couteux pour des installations à moindre émission de CO2. Depuis quelques années, le prix du carbone européen s'est même complètement effondré, entrainant une certaine perte de crédibilité de ce type de système d'échanges. Malgré cela, les systèmes de marchés du  carbone se déploient de plus en plus, hors contrôle des instances internationales, avec des bourses locales. Avec l'ouverture de six marchés, la Chine devient un des leaders dans ce domaine.  Des bourses se déploient dans certains Etats des USA, Canada ou encore au Brésil (banque mondiale 2015). Que penser de ces marchés infranationaux du carbone en Chine et aux Etats Unis ainsi que  des accords bilatéraux  de ces deux géants notamment sur le transfert des technologies bas -carbone, et de leur retour sur la scène internationale dans les négociations du climat? Ces éléments  ne seraient-ils pas avant tout des instruments stratégiques en vue de dominer un futur marché mondial dans un but financier? En parallèle, il est intéressant de constater que les réflexions préparatoires à la COP 21 de Paris 2015 restent centrées sur cette idéologie dominante du marché. Quelques voies isolées de pays comme l'Argentine et la Bolivie s'élèvent fermement contre une approche marchande  (Conférence de Genève 2015). D'autre part, des économistes européens, historiquement défenseurs de l'approche libérale,  préconisent des ajustements à une pure logique de marché pour le futur accord de Paris 2015 : par exemple, en encadrant  par  un  plancher et  un plafond le prix du marché (Criqui P. 2009 ) ou encore De Perthuis  proposant  en 2015 , parallèlement à la constitution d'un marché transcontinental très restreint ( Chine, Europe, Etats Unis) l'institution d'un bonus-malus carbone international .

 

Qu’en-est-il du marché mondial de la biodiversité?
 

Lors des négociations climatiques internationales, le sujet déforestation a toujours été très présent, en effet ce phénomène représente 15 à 20% des émissions de gaz à effet de serre, et  le dispositif  REDD+ permettant potentiellement de financer la déforestation a tenté d'être mis en place (Dahan A. and coll., 2012). Les crédits de " déforestation évitée" sont quantifiés et pourraient être vendus sur le marché international du carbone.  Le cabinet McKinsey est très présent sur la scène internationale pour promouvoir le dispositif REDD+ (Greenpeace 2011). Il préconise une analyse financière de la valorisation des forêts qui permet de chiffrer le " coût d'opportunité" financier à renoncer à la destruction. Les impacts destructeurs de l'industrie forestière sont minimisés dans leurs rapports à l'inverse de l'impact des petits paysans locaux. Bien que ces estimations soient à prendre avec précaution,  Greenpeace a estimé que l'industrie forestière en réduisant l'augmentation de son impact dans les 20 années à venir, bénéficierait, par ce mécanisme d'une somme de l'ordre de 750 millions d'euros.  Les industriels de l'huile de palme auraient un bénéfice estimé à 1 milliard d'euros pour la relocalisation des plantations en dehors des forêts les plus denses. Les dérives et les limites constatées ou potentielles  d'une économie de marché appliquée à l'environnement n'ont pourtant pas ralenti les autres processus de réflexion sur les " instruments de marché" concernant la biodiversité. Ceux-sont sont multiples et hétérogènes, on y retrouve parmi eux des permis négociables, des marchés spécifiques pour les produits environnementaux, des enchères inversées ... ( Broughton E. and Pirard R. , 2011) . La complexité d'évaluer les enjeux liés à la conservation ou à la destruction d'écosystèmes n' a pas été un frein non plus pour voir émerger la démarche TEEB ( The Economics of Ecosystmes and Biodiversity) "  soutenue par les nations Unis qui propose  "une argumentation économique exhaustive et irréfutable pour la conservation des écosystèmes et de la biodiversité" ( TEEB 2009) qui contribuerait à préserver la nature en mettant au point des systèmes de mesure et d'évaluation  objective de la valeur de biodiversité. Cette opération de normalisation de la nature a aboutit à la création de produits adaptés à des échanges sur un marché mondial (Tordjman H. et  Boisvert V. 2012). Un tel découpage de la nature apparaît encore à un niveau de complexité extrême en comparaison  au simple prix donné à l'élément  "carbone". A un niveau infranational sur le même principe des marchés localisés du carbone, en dehors des négociations onusiennes,  les "banques de conservation" sont déjà très présentes aux USA (Tordjman H.  Et Boisvert V. 2012) ; ce marché représenterait  déjà 3 milliards de dollars , ces dernières vendent alors des " crédits" aux industriels ayant besoin de " compenser" . Ces crédits peuvent être équivalents soit à des surfaces de tel habitat dans tel état écologique, ou bien à des nombres de couples de telle espèce protégée mais chaque banque propose des systèmes de compensation qui lui sont propres.  Selon Tordjman et  Boisvert (2012),  il existerait jusqu'à quarante systèmes d'évaluation reposant sur des indicateurs complexes et ces auteurs signalent que l'idée de compensation sur lequel repose ce marché de la biodiversité n'a de sens qu'à l'intérieur d'un espace limité, au sein duquel une équivalence parait encore possible.  Comment effectivement ramener l'ensemble des processus naturels à une grandeur monétaire globale ? A partir de " l'incertitude radicale" décrite par Keynes certains économistes ont évoqué " l'incertitude radicale du marché" car les marchés portent en eux la crise financière et certaines externalités sont difficilement assimilables par le marché (Harribey J.M., 2010).  La complexité des produits potentiellement dérivés d'un découpage de l'environnement ne rappelle-t-elle pas une des caractéristiques des subprimes ? Dans un système de marché non contrôlé,  comment éviter les dérives possibles de l'émergence de produits dérivés où l'on pourrait " parier" sur la disparition d'une espèce ou d'une forêt?

 

Conclusion
 

Penser que l'économie de marché et le capitalisme peuvent Å“uvrer à sauvegarder la planète alors que leurs responsabilités dans les mécanismes de pollution, destruction, ou encore d'hyperconsommation des ressources sont avérées, est un est réel paradoxe. Un  "capitalisme vert"  (Husson M., 2009) est-il alors une utopie? Ne serait-il pas  basé sur l'illusion d'une régulation efficace par le marché des problèmes de dégradation de l'environnement? Pour être réellement opérationnel, ce nouvel ordre supposerait l'existence d'une instance planétaire telle qu'un gouvernement de l'environnement pouvant avoir la main sur l'édiction de normes mondiales, le contrôle et la mise en place de sanctions éventuelles. Nous nous éloignons donc d'une vision purement libérale, et comme le disent Bidet et Duménil (Harribey J.M., 2010): "Derrière le marché, il y a des institutions, des conventions, des règles, en un mot une  organisation". Hors les banques de compensation et les bourses infranationales du carbone émergent en dehors de toute  régulation internationale.  Force est de constater que l'ONU peine à être légitime pour proposer un  système centralisé pour l'environnement et  cet ordre serait- il au final compatible avec  le modèle capitalistique actuel?  L'avenir verra -il naître plus de régulation par les pouvoirs publiques nationaux et internationaux de ces mécanismes de marché pour mieux les optimiser  ou une régulation écologique via une  approche alternative non marchande qui pourrait totalement remettre en cause le système capitaliste actuel?

 
Bibliographie
 

-http://www.banquemondiale.org/fr/news/feature/2014/05/28/state-trends-report-tracks-global-growth-carbon-pricing consulté le 15 février

-Broughton E. and Pirard R. "Biodiversité - Instruments de marché pour la biodiversité : la réalité derrière les termes", IDRI Sciences-Po, Mai 2011.

-Conférence de Genève, Collectif "résumé de la conférence de Genève sur le changement climatique : 8-13 février 2015", IISD reporting Services, Bulletin des Négociations de la Terre, février 2015.

-Criqui P., "Au cœur du futur régime climatique international : taxes ou quotas CO2?", Complément 3A au rapport de Tirole J. " Politique climatique : une nouvelle architecture internationale", La Documentation française, Paris, 2009.

-Dahan A. and coll., "Plateforme de Durban : quelle crédibilité accorder encore au processus de négociations climatiques?", Rapport de recherche du CNRS, C.Koyré, Climate Séries, Mars 2012.

-De Perthuis C. and Jouvet PA., "Les voies d'un accord climatique ambitieux en 2015", Louis Bachelier, février 2015: numéro spécial.

-De Perthuis C., Et pour quelques degrés de plus...Nos choix économiques face au risque climatique, Clermont-Ferrand: Pearson, 2009.

-Greenpeace Collectif " Mauvaise influence : Comment les conseils du cabinet MacKinsey conduiront à une augmentation de la destruction des forêts en RD Congo", Rapport Greenpeace, Avril 2011.

-Harribey J.M., "Fiscalité écologique, mécanismes de marché et régulation climatique. Leçons pour après le capitalisme?", publié dans Stéphane Leyens et Alexandra de Heering ( éds) Stratégie de développement durable, Développement, environnement ou justice sociale? , Namur, Presses universitaires de Namur, 2010.

-Husson M., " Un capitalisme vert est-il possible?", Contretemps n° 1 (nouvelle série), janvier 2009

-Nordhaus WD., "Economic issues in a Designing a Global Agreement on Global Waring", Copenhague, 2009.

-TEEB Collectif, "The Economics of Ecosystems and Biodiversity for National and International Policy Makers- Summary : Responding to the Value of Nature, TEEB, 2009.

-Tordjman H. and Boisvert V. , " L'idéologie marchande au service de la biodiversité?", CAIRN, février 2012.

 

 

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