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L'innovation frugale

 Par Ivan Topalovic

Sommaire

 

1/ De l’innovation technologique à l’innovation multidimensionnelle 

A/ Les innovations technologiques ne peuvent pas se commander 

B/ L’incitation subséquente au passage à une innovation multidimensionnelle 

 

2/ Vers un changement de paradigme économique 

A/ Vers une société de contraintes 

B/ Le cas particulier de la frugalité 

 

3/ De nouvelles perspectives pour la stratégie des entreprises ? 

A/ La stratégie informatique 

B/ Les « Blue Ocean Strategy Â» plus à l’abri ? 

C/ La stratégie de délocalisation R&D 

D/ L’émergence des business model participatifs 

 

 

Introduction

 

Le sujet de l’innovation a été et est toujours abondamment étudié par la littérature académique. Le champ classique d’études couvre un vaste domaine, allant de la définition même d’innovation et ses différents types (incrémentale ou de rupture), la manière de la stimuler et de la gérer (business strategy et organizational behaviour[1]), les relations entre innovation, taille de l’entreprise et type de marché[2], ainsi que sa courbe de diffusion[3].

 

Ces études couvrent avant tout l’innovation dans sa partie technologique. Dès que le « P Â» de « Produit Â» dans les 4 P du Marketing Mix[4] (Product, Price, Place et Promotion) est affecté et propose un changement, on parle d’innovation. Dès que 2 « P Â» sont affectés, on passerait à une innovation de rupture. Cependant l’innovation a débordé de la sphère de la simple technologie. Une volonté d’innovation technologique et des moyens mis en Å“uvre ne suffisent pas à déclencher une invention sur commande. L’innovation a du évoluer, tel qu’indiqué par le sujet proposé, vers une forme d’innovation multidimensionnelle incluant les process, l’administration ou les autres « P Â» du Marketing Mix. L’exemple d’Amazon est significatif ; en modifiant la manière de distribuer le produit (Place) et le prix (Price), la société s’est placée sur un mode d’innovation de rupture qui ne touche pas au produit.

Nous étudierons cette évolution dans une première partie.

 

L’innovation, à travers la recherche et le développement, est un moyen pour conserver un avantage compétitif face à la concurrence. Mais ce moyen peut parfois être très onéreux, ne jamais aboutir ou ne jamais voir le jour, comme dans le cas de la recherche au sein de l’industrie pharmaceutique. La relation sommes investies / résultats atteints n’est en aucun cas une relation de cause à effet, et les innovations de rupture ont souvent été soumises à une forte sérendipité[5]. Fleming n’a dû son invention de la pénicilline qu’à un oubli d’une expérience sur une table de laboratoire, provoquant ainsi des moisissures exploitables et transformables en  antibiotique. Nous soulignons ici que le manque d’innovations en matière d’antibiothérapie est à l’heure actuelle devenu un réel problème de santé publique.

Ce manque de résultats suffisamment prévisibles est aussi à combiner à une économie de contraintes ; les sociétés occidentales connaissent une période où la croissance n’est plus suffisante, les contraintes financières se font de plus en plus pressantes, et les ressources, notamment les matières premières, sont trop fluctuantes pour garantir une source d’approvisionnement stable. Pour reconquérir un marché en difficulté et faire face à l’émergence de marchés émergents, où une classe moyenne croissante est en demande de produits et de services, les entreprises se tournent vers une autre sorte d’innovation. Elle ne supplante pas à notre avis celle existante mais vient se greffer à elle par une philosophie particulière ; «  faire plus avec moins Â». C’est un changement de paradigme qui va faire émerger des innovations différentes, telle que la notion récente d’innovation frugale que nous étudierons dans une seconde partie.

 

Enfin dans une troisième partie nous répondrons à la question des perspectives de stratégies pour les entreprises face à ces nouvelles formes d’innovation. Nous soulèverons la question à travers des exemples si les modèles économiques classiques sont menacés, ou si de nouveaux business model peuvent coexister pour satisfaire un segment particulier de consommateurs.

 

 

1/ De l’innovation technologique à l’innovation multidimensionnelle
 
        A/ Les innovations technologiques ne peuvent pas se commander
 

Tel le mur de Planck dans le champ de la recherche sur le « Big Bang Â», l’innovation technologique se heurte à la barrière scientifique à un moment donné. Cette barrière pourra être repoussée et les connaissances nécessaires seront éventuellement à disposition mais sur un principe d’indétermination temporelle. Pourtant les avancées technologiques sont considérées comme la base de la compétition entre les nations[6].

L’innovation purement technologique s’inscrit dans des cycles successifs de sauts effectués par des « first movers Â» rejoints peu après par les « followers Â» (ou « me too Â»). La protection par la propriété intellectuelle met une organisation temporairement à l’abri en donnant un avantage compétitif pendant un certain laps de temps, mais parfois cette protection n’est pas respectée, comme dans le cas de l’Inde et de la propriété intellectuelle des médicaments.

Naturellement, l’innovation a dû glisser du domaine de la technologie vers les autres paramètres intervenants dans la création de valeur de l’entreprise.

 

        B/ L’incitation subséquente au passage à une innovation multidimensionnelle.

 

Nous sommes passés d’une innovation en tant que résultat à un effort d’innovation, différence entre l’ innovative output et l’ innovative efforts[7].

Cette forme d’innovation est théorisée par Hage (1999). Citant Brenner (1987), Hage parle de l’innovation comme une réponse de l’organisation à un challenge technologique ou à un challenge du marché[8]. Il élargit le champ classique de la notion en passant à l’innovation organisationnelle qu’il définit comme Â«  l’adoption d’une idée ou d’un comportement qui est nouveau pour une organisation Â». L’innovation peut être un nouveau produit, un nouveau service, une nouvelle technologie ou une nouvelle pratique administrative. 

 

            Pyramide de l’innovation[9]

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

La raison du glissement de l’innovation technologique à l’innovation multidimensionnelle peut s’expliquer d’une manière peut-être simpliste, mais qui reflète bien l’obligation faite de se démarquer de la concurrence.

 

Les deux moyens pour augmenter ou conserver une marge opérationnelle rentable sont ;

 

  • Soit de consolider ou augmenter le chiffre d’affaires. Rien dans ce cas n’assure une pérennité face à la concurrence, d’où un besoin constant d’innovation en tant que résultat différenciateur sur les marchés. Ces innovations vont se retrouver dans la partie seen de la pyramide précédente, partant du milieu de la case ventes et distribution vers le haut, car visibles par le consommateur.

 

  • Soit de réduire les coûts de production. On retrouve ces efforts d’innovation partant de la même case vers le bas, dans la partie unseen, invisible pour le client. C’est là où se développent des « cost killing Â» concepts tels que le « lean management Â» et les « costs innovations Â»[10]. Tout gain de productivité, de réduction du temps de transport, de minimisation d’utilisation de ressources (en capital financier, naturel ou humain) va se traduire par un gain ou une réduction de charge, et va avoir un impact sur le compte d’exploitation.

 

Nous citerons comme exemple deux cas issus de deux branches différentes. Les laboratoires Pierre Fabre conduit en interne depuis 2012 des prix de l’innovation auxquels tous les départements sont invités à participer. Ces distinctions pourront être aussi bien gagnées par le département qui créé un nouveau packaging que par le département qui va amener une amélioration de la « sales force effectiveness Â». La distinction ne porte pas seulement sur la partie technologique ; i.e. la création d’un nouveau composé médicamenteux ou dermo-cosmétique.

Un autre exemple est l’usine Smart à Embach qui lors de sa création a développé une nouvelle manière de gérer les stocks de ses fournisseurs en construisant son usine avec des emplacements d’arrivée réservés aux fournisseurs. Ainsi des ouvertures situées le long des murs de la salle contenant la chaine de montage verront arriver les livraisons des pièces diverses consacrées au montage au moment et à l’endroit où elles sont nécessaires. C’est l’application de l’innovation « just in time Â» ou production en flux tendu, poussée à son extrême. Cette conception s’est faite à l’encontre de la tradition habituelle qui consistait à avoir une salle de stockage où il fallait aller chercher les pièces nécessaires à l’assemblage.

 

Nous allons maintenant nous pencher sur l’émergence d’innovations issues du changement de paradigme économique, passant d’une situation d’approvisionnement illimité de ressources à une économie contrainte financièrement.

 

2/ Vers un changement de paradigme économique
          
       A/ Une société de contraintes

 

Les marchés occidentaux connaissent depuis plusieurs années des contraintes financières conduisant les consommateurs à moins d’achats impulsifs et plus d’achats réfléchis. On observe le passage du consommateur au consom’acteur, capable d’influencer sur les ventes d’un produit si celui-ci ne rentre pas dans des critères sélectionnés préalablement, de manière consciente ou inconsciente.

Ces critères peuvent concerner le prix, la qualité ou la composition du produit si celui-ci est considéré comme nocif pour la santé.

Pour rester sur le sujet du prix et de sa limite sur les marchés occidentaux, une innovation qui se démarque est la « cost innovation Â», ou le producteur va trouver des moyens innovants pour réduire le prix d’un bien de consommation. Williamson (2010) cite l’exemple de la société chinoise BYD, capable de réduire les coûts de fabrication de batteries au lithium de 70% en développant leur fabrication dans des chambres à température ambiante et non pas dans des chambres « sèches Â» spécifiques.

L’ Â« innovation cost Â» consisterait à réduire la taille, les frais de production, ou la technologie utilisée jusqu’à permettre au bien d’entrer dans la « zone d’abordabilité Â» dans laquelle le consommateur sous contrainte financière est capable d’entrer (Zeschky, Winterhalter and Gassman 2014).

Un autre exemple est le cas de la société chinoise Huawei, capable d’offrir des téléphones avec des prestations considérées comme élevées 20% moins chers que les concurrents occidentaux.

Zeschky, Winterhalter and Gassman soulignent les réductions de coûts énormes obtenus au travers d’innovations organisationnelles tirant largement profit du faible montant des revenus locaux. C’est le cas de la Chine et de l’Inde.

Dans leur exemple l’innovation est effectivement issue de sociétés locales bénéficiant de la ressource humaine en chercheurs locaux (dont l’éducation a été faite sur place ou à l’étranger), ce qui n’a rien à voir avec la délocalisation pour bénéficier d’une main d’œuvre moins onéreuse et restreindre les coûts de production. Dans notre exemple, un véritable effort de recherche et développement a été effectué. Cet effort permet non seulement d’accéder à toute une nouvelle clientèle de primo acquéreurs dans les pays émergeants à forte croissance (Prahalad 2010), mais en sus d’atteindre une clientèle sous contrainte financière dans les pays occidentaux.

 
 
      B/ Le cas particulier de la frugalité

 

Le terme d’ingénierie frugale a été pour la première fois adopté par Carlos Goshn, Président et Directeur Général de Renault SA, pour qualifier la Nano, voiture que le groupe Tata a produite en Inde sous la barre des USD 2,000.

D’après Prahalad et Mashelkar (2010) l’ingénierie frugale serait un moyen de faire plus, avec moins de ressources, pour plus de personnes. Ces auteurs identifient la crise de consommation que traverse l’occident entrainant la demande d’un meilleur résultat dans la relation prix payé / valeur ajoutée, ainsi que l’arrivée sur le marché de deux à trois milliards de personnes qui vont venir gonfler la classe moyenne dans les dix prochaines années en Inde et en Chine. Des prix à la baisse sont demandés, et une vision prégnante dans nos sociétés industrialisées d’une éco responsabilité voudrait la prolifération  de produits non stressants en matières premières et pour l’environnement, de par leur conception, utilisation et pour leur transformation finale en déchet.

Un nouveau paradigme se créé, passant du premium et de l’abondance, à l’abordabilité et la durabilité[11].

Ces mêmes auteurs qualifient cette innovation de « gandhienne Â», puisqu’elle serait cohérente avec la philosophie même du Mahatma Gandhi, jugeant que la planète peut satisfaire les besoins de toutes les personnes, mais pas leurs envies.

Le terme de « Jugaad Â» (Krishnan, 2010) signifiant bricolage, a aussi été utilisé pour définir l’innovation frugale, caractéristique d’un état d’esprit qui va déclencher le processus innovant.

 

Nous tenons à souligner ici une incohérence qui semble émerger avec ce terme de frugalité. Si la planète entière consommait de la même manière que les Etats-Unis en 2015, il nous faudrait recourir aux ressources en matières premières de six planète comme la terre[12]. Or toute la littérature académique semble orientée vers deux tendances apparemment opposées ; d’un côté le manque de moyens et de ressources obligeant à une innovation ou ingénierie frugale est souligné, mais en contrepartie ces innovations vont aller viser une consommation de masse qui finira par mettre un stress sur l’approvisionnement en matières premières. Le parallèle peut être fait avec les voitures et la pollution ; les constructeurs peuvent se satisfaire de la moindre pollution générée par chaque unité vendue, mais si la somme des ventes augmente, une mesure efficiente n’en est pas pour autant efficace. Dans notre cas, satisfaire deux milliards de consommateurs même avec une notion de frugalité mettra de façon presque obligatoire une accélération sur les raréfactions de ressources.

 

De même une certaine difficulté émerge à définir le concept d’innovation frugale. Nous remettons en cause la notion d’innovation frugale pour la Nano de Tata. Carlos Goshn a parlé d’ingénierie frugale et non pas d’innovation frugale. Il nous faut distinguer ici entre la frugalité intervenant dans le process et la frugalité comme résultat. De ce point de friction surviennent des exemples qui de notre avis, ne tiennent peut-être pas de l’innovation frugale, mais de l’ingénierie frugale ou du « cost innovation Â». L’exemple du Logiq Book, échographe portable développé par G.E. pour une utilisation rurale en Chine est souvent cité comme exemple (Govindarajan et Ramamurti 2011). Cela reste pour nous un échographe dépouillé des fonctions que les utilisateurs ne sont pas prêts à payer dans des pays émergeants.

Zeschky, Winterhalter and Gassman proposent une matrice à deux axes basée sur la nouveauté de la technologie et la nouveauté du marché, en pointant l’innovation frugale sur la moitié de l’axe innovation et l’extrême de l’axe nouveauté du marché. Nous posons ici la question de la pertinence de ce positionnement pour la Nano. Ne serait-on pas dans le cas d’une « cost innovation Â», que Carlos Goshn a utilisé à son tour pour la Logan à Euro 5000 ?

Un des  seuls exemples non ambigu à notre sens d’innovation frugale que nous avons relevé est le service de micro finance, offert par la joint-venture entre Vodafone et le kenyan Safaricom, utilisant des SMS pour effectuer des payements sans posséder de compte bancaire. Cette innovation permet de développer un service bancaire dans des zones d’accès difficiles et pour des populations non desservies (Graham 2010).

Hormis ces questions de définition, nous soulignons l’importance pour toutes les organisations des six principes identifiés par Kumar et Puranam (2012) qui soutiennent le principe d’innovation frugale ;

 

1/ Robustesse

2/ Mobilité (portabilité)

3/ « Defeaturing Â» (enlever les fonctionnalités superflues)

4/ « Leap frog technology Â» (technologie par saut)

5/ Production à grande échelle

6/ Ecosystème de services

 

Ces principes nous semblent pertinents pour toutes les organisations quel que soit leur pays d’origine. En effet General Electrics (G.E.) a vu une demande émerger aux Etats-Unis pour son échographe « low-cost Â», donnant une base à ce que la littérature appelle « reverse engineering Â» ou « reverse innovation Â»[13]. Ce genre d’innovation va à l’encontre du parcours habituel ; dans un parcours classique le produit est développé et exploité dans des pays industrialisés, il est ensuite vendu sous sa forme initiale ou épurée à bas prix dans les pays émergeants. Ici le produit est d’abord conçu pour des pays émergeants, et ensuite trouvera sa demande parmi des consommateurs dans les pays industrialisés sous contrainte financière.

 

3/ De nouvelles perspectives pour la stratégie des entreprises ?
 
     A/ La stratégie informatique
 

En premier lieu il nous faut parler de la révolution internet qui a vu l’émergence de la vente en ligne. Le modèle « brick and click Â» a supplanté le modèle « brick Â» classique, et toute organisation se doit d’avoir une présence en ligne. Une innovation complète de business model a même vu le modèle « click Â» supplanté les autres, tel Amazon ou Ventes Privées, suivis d’une ribambelle de start-up, qui font beaucoup parler d’elles lorsqu’elles réussissent, mais où une grosse majorité ne dépasse pas les deux ans d’existence. Nous ne reviendrons cependant pas sur les conséquences de la révolution internet ; une organisation se doit d’être virtuellement visible.

 

     B/ Les « Blue Ocean Strategy Â» plus à l’abri ?
 

Avant toute suggestion de stratégie, il faut se remettre dans les fondamentaux du marketing ; pourquoi une organisation fait-elle un produit ou un service et revenir au « marketing 101 Â», pour quel segment de la clientèle ?

 

Un produit ou un service destiné à un marché de niche devra de manière obligatoire faire une veille sur le segment visé. Une « Blue Ocean Strategy Â»[14] ne reste pas longtemps à l’abri des requins, mais à notre avis un produit ou service destinés à une partie très segmentée de la population verra moins de dangers venir de ces nouvelles formes d’innovation qu’un produit ou service destinés à une consommation de masse.

 

 
    C/ La stratégie de délocalisation R&D
 

Dans une seconde étape, il faut connaître les ressources financières de l’organisation, et savoir si celle ci va pouvoir « jouer en attaque Â» ou si elle devra se contenter de « jouer en défense Â».

Nous alignant sur les hypothèses de Soni et Krishnan (2014), une suggestion de stratégie est d’orienter certaines ressources de la recherche vers des solutions frugales, indépendamment de la polémique ingénierie ou innovation. Nous divergeons cependant sur la raison qui pousse ces auteurs à demander toujours plus de délocalisation R&D en Inde, sous prétexte que la frugalité est un formatage intellectuel que l’on y retrouve partout, et qu’ils seraient les mieux à même de la produire.

De manière très pragmatique nous argumenterons qu’il est plus probable de faire sortir des nouvelles idées d’un groupe de dix ingénieurs indiens, plutôt que de leur équivalent salarial en Europe, qui se seraient montés à ..... deux. En comptant Euro 700 le salaire moyen de l’ingénieur indien, ils ne sont pas plus créatifs, mais tout simplement plus nombreux en rapport avec les ressources financières allouées. Le concept de frugalité comme « mindset Â» ou tournure de l’esprit peut parfaitement être recréée en Europe pour des besoins spécifiques. C’est d’ailleurs ce qu’à très bien réussi M. Carlos Goshn avec son modèle Logane.

Jouer en attaque, c’est allouer ces ressources pour une délocalisation partielle, tout en prenant le risque, comme dans tout projet R&D, que rien de profitable ne sorte de ces investissements. Mais il vaut peut être mieux être dans cette situation que de jouer en défense, avec des ressources limitées qui ne permettent pas une autre stratégie que de voir venir le coup suivant de l’adversaire. Il ne faut pas oublier que 80% du paysage économique français est composé de PME, et que les stratégies ci-dessus ne peuvent concerner qu’une certaine taille d’organisation dotée d’une certaine santé financière.

 

   D/ L’émergence des business model participatifs

 

Enfin les contraintes financières pesant sur les ménages occidentaux ont vu l’émergence de modèles économiques participatifs, avec une tendance à l’échange ou la mise à disposition de compétences, de savoirs, de produits ou d’outils de production.

Le modèle de covoiturage développé par la plate-forme Blablacar n’a pas été anticipé ni par les compagnies aériennes locales ni la SNCF, poussant cette dernière à investir lourdement dans une stratégie de défense sur le marché[15], en rachetant Ouicar et en le transformant en IDVroom[16]. Se battre sur le même segment est une stratégie pour ne pas laisser un participant dans son « Blue Ocean Â», mais la SNCF s’est aussi concentré sur son cÅ“ur de métier, en étoffant ses services de méthodes de transports multimodales.

Un autre modèle d’innovation faisant appel à la mise à disposition de biens est Airbnb, où des privés louent de manière privée leurs biens immobiliers. Cette stratégie a été immédiatement copié par d’autres plateformes, mais ce modèle rentre en concurrence frontale avec les métiers traditionnels de l’hôtellerie, de même que le modèle Uber avec les métiers traditionnels de taxis.

Les particuliers tirant des sources de revenus de plus en plus importantes et non déclarées de leur activité de locations immobilières accroissent l’ire des hôteliers traditionnels soumis à des normes et des taxes contraignantes qui voient leur chiffre d’affaires diminuer. Ce modèle économique a eu l’inconvénient d’attirer l’attention de celui qu’il ne faut jamais alerter ; les services fiscaux français, qui ont commencé des contrôles dans les villes pour les locataires qui tirent des sources constantes de revenus de cette activité. Nous pensons que ce business model va subir des modifications et un encadrement important dans les années à venir entre la puissance et les revendications du lobby hôtelier et les sommes échappant au ministère des finances.

Nous mentionnons aussi dans ce chapitre les modèles économiques émergeants basés sur un financement participatif (« crowd-funding Â»). Ce modèle attire particulièrement notre attention par le danger qu’il représente pour n’importe quelle structure classique préexistante. Si une idée surgit, et qu’elle trouve un financement prenant cette forme, c’est que l’idée a séduit tous les investisseurs qui deviennent des clients potentiels. Ce modèle flirte avec l’idée de co-création entre les utilisateurs et l’organisation. C’est l’idée actuelle d’une campagne de création d’un maillot de bain qui se veut le « plus confortable au monde Â»[17]. Au jour de la consultation, le projet avait besoin de 15 000 Euro pour être lancé et a déjà dépassé la barre des 75 000 Euros.

Il aurait été intéressant pour notre essai de contacter une société comme Vilebrequin, qui a dominé le marché français il y a quelques années, pour connaître leur réaction devant ce genre d’innovation managériale.

 
Conclusion

 

La paupérisation de la population, avec le creusement des inégalités constaté à un niveau mondial,  remet en cause l’économie traditionnelle. C’est un fait incontestable.

Parallèlement sur 500 Bugatti Chiron (remplaçante de la Veyron) prévue en fabrication à plus de 1, 5 millions d’Euro plus de 150 sont déjà prévendues, selon la presse automobile spécialisée. Chaque année des records sont battus dans les ventes de bateaux de plaisance aux salons de Cannes, Monaco et Gênes.

L’émergence d’innovations diverses telles que décrites dans l’essai menace les modèles économiques traditionnels. Nous argumenterons que seulement certaines branches sont  touchées.

Nous avons décrit des perspectives pour les entreprises, que seulement certaines d’entre elles pourront saisir (cas de délocalisation de R&D) tandis que d’autres vont avoir des confrontations parfois brutales avec des modèles émergeants (Uber, Airbnb).

Chaque entreprise se doit de faire une veille et des benchmarks constants pour savoir où elle se situe, quels dangers menacent ses parts de marché et de quels types d’innovations elle pourrait se saisir pour consolider son avantage compétitif.

Nous insistons pour clore cet essai sur le besoin crucial pour tous les acteurs économiques de se recentrer sur le consommateur et ce qu’il réclame, indépendamment de la distinction  besoin,  volonté ou désir. Comprendre tout au long de la vie d’une organisation pourquoi on livre un service ou un produit et à qui on le livre ne met pas à l’abri de manière systématique de la concurrence, mais permet d’être le plus proche possible de son segment de consommateur et des tendances qui pourraient émerger. Une proximité recherchée et travaillée donne aussi parfois des opportunités de co-création ou un co-développement qui offrent des possibilités de verrouillage de la clientèle. Et que recherchent les organisations dans les innovations diverses, si ce n’est un verrouillage de cette clientèle ?

 

Bibliographie

 

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Gautier, C ; « Après le covoiturage, la SNCF passe à l’autopartage Â», Le Figaro, 25/6/2015

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Graham, F ; « M-Pesa : Kenya’s mobile wallet revolution Â» BBC News, November 22, 2010

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[1] Stategie d’entreprise et comportement des organisations

 

[2] Schumpeter (1942)

 

[3] Rogers (1995)

 

[4] Mc Carthy (1986)

 

[5] Capacité, art de faire une découverte, scientifique notamment, par hasard

 

[6] Kitson & Mitchie (1998), cité par Hage (1999)

 

[7] Ahuja, Lampert & Tandon (2008)

 

[8] Hage (1999) p599

 

[9] Présentée par le Prof Roland Bel à Euromed Management en cours de Business Strategy, et basée sur le The Abernathy and Utterback model (1975)

 

[10] Williamson (2010)

 

[11] Prahalad, C.K, Mashelkar, R.A. ; « Innovation’s Holy Grail Â», Harvard Business Review, P 134

 

[12] Intervention en Master Développement durable et Organisations de M. Alexis Bonnel, AFD, à Paris-Dauphine en déc 2016.

 

[13] Govindarajan et Ramamurti (2011)

 

[14] Kim et Mauborgne

 

[15] Intervention de M. Jourdan, Directeur Développment Durable de la SNCF, pendant le Master de Développement Durable et Organisations à Paris Dauphine, Décembre 2016

 

[16] http://www.lefigaro.fr/societes/2015/06/25/20005-20150625ARTFIG00352-apres-le-covoiturage-la-sncf-passe-a-l-autopartage.php

 

[17] https://www.kickstarter.com/projects/seagale/the-2-in-1-swim-shorts-the-worlds-most-comfortable, consulté le 11/3/2016

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