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Réinventons nos modèles d’entreprise, ré-enchantons le marché et favorisons la durabilité

Par Isabelle Gasquet et Marie Vabre

Pourquoi une entreprise devrait-elle réinventer son modèle économique ? Dans la mesure où il est impossible de changer le contexte – crise économique, écologique et environnement hyperconcurrentiel – autant transformer ces externalités négatives « en opportunité unique d’enrichir les business models. Modifier ses méthodes managériales et ses valeurs internes, devient alors une piste pour rester compétitive. L’objet de la conférence de Jeanne Glorian[1] permet de réfléchir sur les sujets de l’économie neutre, positive, circulaire et de fonctionnalité, des pistes de systèmes alternatifs dans lesquels les entreprises seraient « durables Â». Il ne s’agit pas ici de porter des jugements de valeurs, puisque notre cabinet ne saurait être partisan, mais plutôt d’ouvrir des pistes de réflexion sur les possibilités de réinvention de nos modèles d’entreprise traditionnels.

 

Les business models traditionnels ancrent leurs fondements dans le concept du capitalisme, à savoir la création de valeur pour la recherche unique du profit et l’accumulation du capital. Alors que l’écodéveloppement repense la croissance économique au service du développement social, respectueuse de la nature[1]. L’économie circulaire semble une clef essentielle de changement de paradigme : une production et une consommation qui intègrent le souci d’une utilisation la plus efficace possible des ressources, tout en réduisant les impacts négatifs sur l’environnement et en maintenant notre niveau de bien-être[2].

 

Pour Serge Latouche, il faut rompre avec le modèle de développement illimité de l’Occident et rentrer dans « l’âge des limites Â»[3]. La nécessaire transition énergétique vers une économie post-carbone pourrait s’appuyer sur l’idée d’une troisième révolution industrielle. Selon son principal architecte, Jeremy Rifkin, spécialiste de prospective : « L’ère de la propriété se termine, l’âge de l’accès commence Â»[4], s’inscrivant dans l’économie de fonctionnalité. Sa vertu serait de créer des externalités environnementales et sociales positives. Cela remettrait en cause « le temps des objets Â», théorisé par Jean Baudrillard[5].

 

Il pourrait s’agir d’un retour à l’utilitarisme, terme trop souvent galvaudé que nous employons ici dans un sens non dévoyé, défini dans le cadre d’une forme de morale par John Stuart Mill : « fondée sur l’utilité sociale, sur l’intérêt général et personnel, dont l’idéal serait « le bonheur général et non le bonheur personnel Â»[6], à l’encontre de l’anthropologie pessimiste de Hobbes. La co-consommation ne peut s’inscrire uniquement dans une rationalité en calcul (faire des économies), elle crée également du lien social, ainsi que du bien-être individuel et général. C’est le cas de la tendance à l’échange ou à la mise à disposition de compétences, de savoirs et d’outils de production : les MOOCS, l’avènement de l’open-source même dans des domaines aussi pointus que la biotechnologie (La Paillasse), les Trade Schools, les Fab labs, le co-working, la colocation, les jardins partagés, le covoiturage, le troc, les monnaies locales, le partage d’objets, le crowd funding ou les prêts entre particuliers.

 

On peut être « un idiot rationnel Â», comme le dit Amartya Sen[7], qui sacrifie son utilité personnelle à l’accomplissement de certaines fins éthiques ou politiques. Au regard de l’échec du « développementalisme Â» et du changement climatique, il semble urgent de réconcilier l’engagement moral en faveur de l’égalité et la rationalité économique. En France, de nombreux types d’organisations, coopératives, mutuelles, associations, ou fondations ont un fonctionnement interne et des activités fondées sur un principe de solidarité et d'utilité sociale. Elles emploient 2,34 millions d’actifs, soit près de 10% de l’emploi salarié[8]. La législation de 2014 sur l’ESS[9], érigeant trois conditions comme principes fondateurs, semble constituer un progrès : une gouvernance participative, une lucrativité limitée et une utilité sociale, mis au centre d’un système néo-capitaliste par certains partisans du sustainable development. A travers cette rationalité, de nouvelles structures hybrides se créent, inscrivant ce concept dans leur charte fondatrice.

 

Call for team, startup d’économie collaborative, durable, sociale et solidaire, anime et accompagne des communautés de citoyens dans l’expression et l’identification de leurs problématiques et leurs besoins, la co-conception et la co-création de services et d’espaces à usages collaboratifs répondant à des critères de durabilité, en nouant des partenariats avec les collectivités territoriales et les acteurs privés sur les territoires[10]. Il ne suffit pas que les consommateurs et les entreprises soient moteurs de cette transition vers une ère post-carbone, envisageable notamment via l’économie circulaire. Il semblerait qu’un changement ne puisse s’opérer qu’avec la normalisation et l’accompagnement des pouvoirs publics. En France, le projet de loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte semble essentiel à cet égard.[11]

 

Dans cette nouvelle ère de l’accès, on assiste à l’émergence de nouveaux modèles économiques qui cherchent de plus en plus à intégrer les externalités sociales et environnementales. Pour aller encore plus loin, on peut se demander dans quelle mesure l’on pourrait mettre les enjeux sociaux et environnementaux sur le même plan que les enjeux économiques dans la mise en place de nouveaux business models ? D’un point de vue théorique, la rationalité instrumentale généralisée prédomine aujourd’hui dans nombre de disciplines, avec en son cÅ“ur la figure de l’ Â« homo oeconomicus Â» qui n’est motivé que par la satisfaction de ses intérêts individuels[12]. Pour atteindre un équilibre entre les trois principaux piliers du développement durable (économique, social, environnemental, auxquels nous ajoutons spatial et culturel), faut-il dès lors repenser les modèles économiques à travers une nouvelle perspective représentant une alternative à ce modèle utilitariste ?

 

Un groupe d’intellectuels a travaillé à l’élaboration d’une nouvelle philosophie politique commune, le convivialisme, destiné à rassembler les opposants à l’hégémonie d’une forme de capitalisme rentier et spéculatif[13]. Une des idées qui priment est de dépasser le modèle croissantiste qui a d’ores et déjà montré ses limites, tant sur le plan économique avec l’essoufflement de la croissance du PIB dans les pays occidentaux, que sur le plan environnemental à travers la multiplication des dégradations. Selon Claude Alphandéry, les initiatives répondant de l’économie sociale et solidaire constituent un « vecteur du convivialisme Â», car elles ont en commun « une vision du mieux-vivre portée par des indicateurs qui dérogent à ceux de la seule croissance du PIB, par des modes de décision, de gouvernance qui se dégagent tant de la toute-puissance du capital financier que de l’absolutisme du pouvoir central et qui font appel à la participation des citoyens Â»[14].

 

D’un point de vue pratique, la refonte des modèles économiques nécessite la remise en question des outils actuels et l’intégration de nouveaux outils. Nicolas Sarkozy était allé dans ce sens en 2008 lorsqu’il avait demandé aux économistes Joseph Stiglitz, Amartya Sen et Jean-Paul Fitoussi de repenser les instruments de mesure des performances économiques et du progrès social et notamment de déterminer les limites du PIB en tant qu’indicateur privilégié pour ces mesures. Le rapport qui s’en est suivi a entre autres mis l’accent sur l’importance de mesurer le bien-être de la population dans les systèmes statistiques[15].

 

L’un des outils les plus élaborés en terme d’équilibre entre l’économique, le social et l’environnemental est le système comptable CARE, qui met le capital naturel, le capital humain et le capital financier sur un pied d'égalité en ce qu’ils figurent tous les trois au bilan de l’entreprise[16]. Ce système peut être renforcé par une nouvelle gouvernance fondée sur la cogestion environnementale, qui consiste à désigner des représentants pour les trois types de capitaux dans les organes de décision[17]. La limite se posant ici est la possibilité de la mise en place d’un tel modèle comptable et d’un tel type de gouvernance dans de grandes entreprises solidement ancrées dans le système financier actuel. Un certain nombre de convergences se dessinent ainsi entre la réflexion théorique récente autour du convivialisme et la redéfinition ou création d’outils visant à concevoir des alternatives au modèle économique général que nous connaissons aujourd’hui.

 

 

 

Références bibliographiques

 

Nouveaux modèles économiques et impacts réels, probables ou supposés sur la gestion des entreprises, conférence de Jeanne Glorian, Responsable RSE & Business Excellence Groupe Bouygues, Université Paris-Dauphine, septembre 2014.

 

Ignacy Sachs, La troisième rive, Bourin Editeur, 2007.

 

« Quelles stratégies d’entreprise pour une économie circulaire moteur de croissance ? Â», Amorcer la transition, construire le modèle de demain, Institut de l’économie circulaire, septembre 2014.

 

Serge Latouche, L’âge des limites, éditions Mille et Une nuits, 2012 et Survivre au développement, 2004.

 

Jeremy Rifkin, L'âge de l'accès : la vérité sur la nouvelle économie, La Découverte, 2000.

 

Jean Baudrillard, La société de consommation, Editions Denoël, 1970.

 

John Stuart Mill, L’utilitarisme, Flammarion, 1988.

 

Amartya Sen, Repenser l’inégalité, Edition du Seuil, 2000.

 

CEDEF Centre de documentation Economie-Finances et Institut national de la statistique et des études économiques.

 

Journal officiel de la République française, Loi N°2014-856 du 31 juillet 2014 relative à l’économie sociale et solidaire, 1er août 2014.

 

Call for team, La Charte en 10 points, www.callforteam.com, 2014.

 

LOI n° 2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte.

 

Alain Caillé, Anti-utilitarisme et paradigme du don, Le Bord de l’eau, 2014.

 

Manifeste convivialiste, Déclaration d’interdépendance, Le Bord de l’eau, 2013.

 

Alphandéry Claude, « L'économie sociale et solidaire, vecteur du convivialisme », Revue du MAUSS, 2014/1 n° 43, p. 115-116. DOI : 10.3917/rdm.043.0115

 

Rapport de la Commission sur la mesure des performances économiques et du progrès social, 2009.

 

Jacques Richard et Emmanuelle Plot, La gestion environnementale, La Découverte, Paris, 2014.

 

[1] Nouveaux modèles économiques et impacts réels, probables ou supposés sur la gestion des entreprises, conférence de Jeanne Glorian, Responsable RSE & Business Excellence Groupe Bouygues, Université Paris-Dauphine, septembre 2014.

 

[2] Ignacy Sachs, La troisième rive, Bourin Editeur, 2007.

 

[3] « Quelles stratégies d’entreprise pour une économie circulaire moteur de croissance ? Â», Amorcer la transition, construire le modèle de demain, Institut de l’économie circulaire, septembre 2014.

 

[4]  Serge Latouche, L’âge des limites, éditions Mille et Une nuits, 2012 et Survivre au développement, 2004.

 

[5] Jeremy Rifkin, L'âge de l'accès : la vérité sur la nouvelle économie, La Découverte, 2000.

 

[6] Jean Baudrillard, La société de consommation, Editions Denoël, 1970.

 

[7] John Stuart Mill, L’utilitarisme, Flammarion, 1988.

 

[8] Amartya Sen, Repenser l’inégalité, Edition du Seuil, 2000.

 

[9] CEDEF Centre de documentation Economie-Finances et Institut national de la statistique et des études économiques.

 

[10] Journal officiel de la République française, Loi N°2014-856 du 31 juillet 2014 relative à l’économie sociale et solidaire, 1er août 2014.

 

[11] Call for team, La Charte en 10 points, www.callforteam.com, 2014.

 

[12] LOI n° 2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte.

 

[13] Alain Caillé, Anti-utilitarisme et paradigme du don, Le Bord de l’eau, 2014

 

[14] Manifeste convivialiste, Déclaration d’interdépendance, Le Bord de l’eau, 2013

 

[15] Alphandéry Claude, « L'économie sociale et solidaire, vecteur du convivialisme »,

Revue du MAUSS, 2014/1 n° 43, p. 115-116. DOI : 10.3917/rdm.043.0115

 

[16] Rapport de la Commission sur la mesure des performances économiques et du progrès social, 2009

 

[17] Jacques Richard et Emmanuelle Plot, La gestion environnementale, La Découverte, Paris, 2014

 

[18] Ibid.

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