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Comment concilier une stratégie d’entreprise fondée sur la rentabilité financière avec des enjeux de développement durable ? Comment opérer un tel changement de pilotage stratégique ?

Par Marie Gerrer et Ivan Topalovic

 

Informations préalables à la mise en place d’une démarche RSE[1] dans la société Y :

  • Avantages de ce changement de stratégie

  • Comment maintenir la rentabilité financière

  • Procédures à mettre en œuvre

 

 

 

Cette note a été réalisée suite à une demande de la société Y, entreprise qui fournit des services d’assistance en escale (traitement des bagages, tractage et repoussage des avions sur piste…) à des compagnies aériennes et à Aéroports de Paris, qui souhaite s’engager dans une démarche développement durable. M. X, directeur général de cette société, s’interroge sur l’impact de ce changement de stratégie sur la rentabilité financière de sa société.

Il nous a semblé utile de préciser à M. X les points suivants car pour effectuer de tels changements dans une entreprise la motivation sans faille de la direction est indispensable.

 

 
Principaux enjeux RSE pour la société Y

 

Cette société connait de réels problèmes en termes de ressources humaines, les relations avec les employés notamment ceux des galeries bagages peuvent être conflictuelles : grèves, contentieux… Le management est directif et gagnerait à être changé en un management participatif.

Le risque relatif est important car en cas de grève une grande partie des deux grands aéroports parisiens pourrait être bloquée avec des conséquences extrêmement néfastes pour l’entreprise. Ce risque est aujourd’hui géré en aval ; des procédures sont prévues au cas où une grève surviendrait. Grâce à la RSE il pourrait être géré en amont, au niveau du bien-être des employés sur leur lieu de travail.

Le deuxième enjeu important est la gestion environnementale. C’est d’ailleurs ce point qui motive la demande. Des mesures ont déjà été mises en œuvre (engins de pistes hybrides, gestion des déchets) mais il faut aller plus loin pour pouvoir se démarquer de ses concurrents.

 

Bénéfices apportés par la RSE

 

Une des pratiques les plus importantes de la RSE est le dialogue avec toutes les parties prenantes, qui permet à l’entreprise de bien comprendre leurs attentes et vice-versa.  Cette compréhension mutuelle va petit à petit s’instaurer et augmenter les performances de la société Y de diverses manières.

Par exemple, suite au dialogue avec les employés [2] on peut constater les impacts suivants :

  • Accroissement de la loyauté des employés, de leur implication, de leur participation, de leur bien-être psychique

  • Un effet positif sur la capacité de l’organisation à motiver, recruter, retenir ses employés

  • Amélioration de la sécurité et de la santé des travailleurs et des travailleuses

Ceci permet l’augmentation de l’efficacité de l’entreprise et va également limiter les risques de grève.

Le dialogue avec les clients ainsi qu’avec différentes composantes de la société civile va permettre de proposer des services plus en adéquation avec les attentes des clients, va aussi encourager l’innovation et par conséquence améliorer la réputation de la société Y.

Il en va de même dans de nombreux domaines et globalement les bénéfices à attendre pour l’entreprise sont les suivants[3] :

  • Amélioration de la compétitivité de l’entreprise y compris l’accès à des financements

  • Anticipation et maîtrise des risques

  • Amélioration de l’image de marque

  • Accès à de nouveaux marchés

  • Acceptation sociale des activités de l’entreprise

  • Amélioration de la fiabilité et de l’équité des transactions

  • Prévention des conflits potentiels avec les clients

 

Les actions dans le domaine de l’environnement vont commencer par être des charges se répercutant sur le compte d’exploitation de l’entreprise mais vont être sources d’économies par la suite : économies d’eau, d’énergies et de matières premières dont les prix sont appelés à augmenter.

Une démarche RSE favorise donc la performance globale de l’entreprise. Les bénéfices à attendre sont sur le moyen et le long terme, concernent essentiellement la valeur immatérielle de la société mais rejailliront par la suite sur la performance financière.

 

Contraintes

 

Un benchmark des principaux concurrents de la société Y montre que ceux qui sont positionnés comme elle en termes géographiques ont une approche développement durable bien plus approfondie et réalisent, notamment, un rapport développement durable assorti d’un certain nombre de mesures.

 

D’autre part la Loi relative à la transition énergétique pour une croissance verte impose des changements aux assistants en escale, notamment dans l’article 45, et la directive européenne du 22 octobre 2014 qui concerne la publication d’informations non-financières va également leur imposer des modifications car elle s’applique aux SAS (Sociétés par Actions Simplifiées) qui n’avaient pas ces contraintes auparavant (la société Y entre dans ce cadre).

De par la concurrence et le cadre juridique la société Y subit des pressions pour engager une démarche développement durable. Cependant il ne faut se placer sous cet angle : engager une telle démarche sous la contrainte n’est pas vraiment motivant. Il vaut mieux se dire qu’on va devancer la réglementation et augmenter sa compétitivité face aux concurrents en les prenant de vitesse et en instaurant un certain nombre de mesures avant eux, argument que l’on pourra faire valoir sur le marché. Aujourd’hui le fait d’avoir mis en place une réelle stratégie développement durable donne un avantage compétitif indéniable, permet de se différencier par rapport à des concurrents et de remporter des marchés. Cet accès à des nouveaux marchés est de plus facilité si la démarche RSE est prouvée lorsque la société contractante exige des fournisseurs certifiés.

 

Maintenir la rentabilité financière

 

L’amélioration de la compétitivité liée à la mise en place de mesures RSE va permettre de maintenir voire d’améliorer la rentabilité de la société certes, mais nous tenons à rappeler que ces effets ne seront pas immédiats. Il faut donc raisonner en avenir à moyen et long terme, en pérennité de l’entreprise. D’autre part pour réellement améliorer l’image de marque il faut communiquer sur la démarche accomplie.

Beaucoup de travaux ont été réalisées sur la nature de la relation entre la RSE et la performance financière. Une majorité de ces études montre que ce lien est positif mais d’autres études démontrent le contraire. Il n’y a donc pour l’instant pas de véritable consensus à ce sujet.

Une étude datant de 2012[4] indique qu’en réalité pour maintenir ses performances financières il faut avoir des très faibles résultats en termes de performances sociales ou au contraire d’excellents résultats, les résultats financiers étant meilleurs dans le deuxième cas. Autrement dit il faut s’engager vraiment ou pas du tout. Faire des demies mesures n’aura pas le même impact car cela ne montrera pas aux partenaires la réalité de l’engagement et pourrait même leur donner l’impression qu’il s’agit de  greenwashing.

Enfin, d’après une étude de Franck Brulhart[5], procéder à un management différencié des parties prenantes, c’est-à-dire prioriser les demandes de certaines par rapport à d’autres, permet d’améliorer les performances économiques de l’entreprise.

 

 

Comment procéder à ces changements

 

Une approche holistique de l’entreprise est indispensable d’où la nécessaire forte implication de l’équipe dirigeante. La stratégie RSE ne doit pas simplement se coller sur l’existant, la RSE doit s’intégrer à toutes les pratiques, tous les processus et devenir une partie intégrante de l’ADN de la société Y.

La culture de l’entreprise et de ses dirigeants détermine assez largement le mode opératoire. Une même stratégie ne peut pas être implantée dans toutes les entreprises.

Voici de manière générale les principales étapes de la mise en œuvre[6] :

  • Cadrage : Qu’est-ce que la direction souhaite faire de cette démarche, quel est son besoin, quelle est sa vision, son ambition ?  Cette information est nécessaire pour structurer, dimensionner et orienter la démarche.

Il faut également définir le périmètre de la démarche : Toute l’entreprise ou une filiale ?

L’étape suivante consiste à déterminer les facteurs de succès et de risques pour la mise en place de la RS.

Puis il s’agit de définir la structure et le budget prévisionnel du projet.

  • Etat des lieux : Analyse des forces et des faiblesses de l’organisation : identifier les parties prenantes et leurs attentes. L’objectif est de d’analyser les domaines d’action et l’enjeu qu’ils représentent pour l’organisation afin de déterminer ceux qui sont prioritaires.

Cette phase est l’une des plus importantes de l’ensemble de la démarche.

  • Choix des priorités et construction du programme d’action : Identifier les domaines sur lesquels il convient d’agir rapidement, les actions à mener, les responsables, les parties prenantes, celles qui peuvent apporter une aide.

  • Mise en œuvre du programme et mesure de performance : Dans cette phase il convient de changer les valeurs au sein de l’organisation, déterminer les objectifs qui seront assortis d’indicateurs de suivi, intégrer la démarche dans les processus (sensibiliser, développer les compétences, s’appuyer sur les systèmes de management existants).

  • Revues et amélioration : La démarche de RSE doit être dans une logique d’amélioration continue.

  • Reporting auprès des parties prenantes : C’est l’un des fondements de la RSE, il doit être sincère.

  • Evaluation de l’intégration de la RSE par une tierce partie : Afin d’obtenir une reconnaissance extérieure et une évaluation impartiale.

 

Conclusion

 

Cette démarche va, certes, demander du temps et de l’argent, mais cela permet d’assurer la pérennité de l’entreprise qui, ainsi, fonctionnera de manière plus saine et sera armée en cas de crise. Un de ses principaux intérêts est d’embarquer l’ensemble des parties prenantes dans un plan d’action commun et ainsi permettre une synergie entre tous ces acteurs.

 

 

 

 

[1] RSE Responsabilité Sociétale des Entreprises, contribution des entreprises au développement durable

[2] NF ISO 26000, La Plaine Saint-Denis, AFNOR,  nov. 2010.

[3] ibid

[4] Barnett M. L., Salomon M.R., “Does It Pay to Be Really Good? Addressing the Shape of the Relationship between Social and Financial Performance.”, Strategic Management Journal 33, 2012, pp 1304–1320.

[5] Brulhart F., Gherra S., Finance, contrôle et stratégie, 2013

[6] ISO 26000, responsabilité sociétale- Comprendre, déployer, évaluer, La Plaine Saint-Denis, AFNOR, 2010.

 

 
Bibliographie
 

Barnett M. L., Salomon M.R., “Does It Pay to Be Really Good? Addressing the Shape of the Relationship between Social and Financial Performance.”, Strategic Management Journal 33, 2012, pp 1304–1320.

Brulhart F., Gherra S., Finance, contrôle et stratégie, 2013.

 

Lecomte S., Adary A., L’ISO 26000 en pratique, Faire de la responsabilité sociétale un levier de performance de l’entreprise, Paris, Dunod, 2012.

 

NF ISO 26000, La Plaine Saint-Denis, AFNOR, nov. 2010.

 

ISO 26000, responsabilité sociétale- Comprendre, déployer, évaluer, La Plaine Saint-Denis, AFNOR, 2010.

 

Jeanne F. sous la direction de M.-C. Monnoyer, Mémoire de recherche : Responsabilité sociale des entreprises (RSE) et efficacité économique : Dans quelle(s) mesure(s) la RSE permet –elle d’accroître les profits de l’entreprise ou comment concilier performance sociale et performance financière ? , Toulouse, Sciences-Po Toulouse, 2010.

 

 

 

 

 

 

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